La poupée est un objet intermédiaire représentant l’être en société. Elle sert d’intermédiaire entre deux mondes, le sacré et le profane, l’animé et l’inanimé, le vrai et le simulacre…

Les poupées sont devenues de nos jours un symbole quasiment exclusif de l’enfance *. Depuis le 16ième siècle, en Europe, la poupée copie le nourrisson ou le petit enfant et devient un jouet d’imitation pour reproduire les rôles parentaux du monde adulte Dans les autres traditions ainsi que dans son usage populaire, elles occupaient, avant la renaissance, une place importante dans la vie des sociétés, puisqu’elles transmettaient et perpétuaient des valeurs en étant associées à des pratiques rituelles et magiques.

Elles sont l’une des multiples formes à travers lesquelles les hommes ont saisi la manifestation du sacré, que l’on peut définir comme étant l’authentification en un principe supérieur, celui du monde non intelligible.

Les poupées exercent une certaine fascination chez les artistes, des figurines utilisées par Nicolas Poussin à celles de Nicky de Saint Phalle ou Hans Belmer, ces derniers l’utilisant dans de nombreuses installations. La poupée de maternage ou de mode est revue, transformée, dans une résonance plus proche de la poupée cérémonielle, comme objet intermédiaire représentant l’être en société dans ses relations multiples.

Les poupées traditionnelles votives et cérémonielles

Les poupées votives et cérémonielles sont utilisées comme objet intermédiaire pour conjurer ou remercier les puissances surnaturelles (dieu, esprit ou ancêtre) et transmettre des valeurs.

Dans de nombreuses sociétés traditionnelles, que ce soit en Europe centrale ou Balkanique, dans certaines vallées de l’Amérique du nord et du sud, les poupées étaient utilisées à certains moments déterminants de la vie sociale.

Elles pouvaient être utilisées dans les rites de passage notamment dans certaines tribus africaines où la poupée symbolisait la fécondité transmise de mère en fille lors des cérémonies de mariage. Elle est alors transmise comme un chainon entre les générations et les lignées familiales.

Les Matriochkas, ces poupées russes de taille décroissante à l’intérieur les unes des autres sont emblématiques de la poupée de fécondité. Les poupées traditionnelles russes étaient souvent vues comme des portes bonheur car les ancêtres croyaient que les poupées étaient capables de chasser les esprits malins et d’apporter le bonheur à la maison.

Les poupées sont aussi présentes dans les fêtes agricoles dans les rites de nombreuses cultures. Pour fêter le solstice d’hiver mais aussi l’arrivée du printemps en représentant la vigueur de la nature et symbolisant le renouveau, elles vont assurer la prospérité de la communauté.

Les poupées Katchinas des tribus indiennes Hopi et Zuni représentent des esprits du monde visible et invisible. A l’occasion des fêtes rituelles ces esprits s’incarnent dans des danseurs masqués et costumés. Les poupées représentent les danseurs et seront offertes aux enfants après les cérémonies pour qu’ils se familiarisent avec le monde des esprits.

Dans la sorcellerie occidentale la poupée qui sert à jeter des sorts est appelée « dagyde » (du grec « dagos », poupée). Suivant le même principe que dans le culte Vaudou haitien, ces poupées représentent une personne, les actions (positives ou négatives) sur la poupée sont supposées avoir des effets sur elle.

A travers un rite, la collectivité ou l‘individu a recours à une action symbolique et met en évidence le rôle indispensable de la fonction symbolique qui est de protéger, d’entrer en contact, de transmettre. La pratique des actes symboliques est certainement aussi vieille que l’humanité et toutes les cultures primordiales.

Le monde occidental a connu un processus de désacralisation et les poupées ont été affranchies du contexte sacré et religieux.

La fonction symbolique

Le symbole est définit dans le Littré comme la « figure ou image employée comme signe d’une chose » . Pour Carl Gustav Jung (1875-1961), médecin, psychiatre, fondateur d’un courant de la psychologie analytique et pionnier de la psychologie des profondeurs, « Le signe est toujours moins que le concept qu’il représente, alors que le symbole renvoie toujours à un contenu plus vaste, que son sens immédiat et évident. »

En occident, depuis René Descartes (1596-1650), nous avons perdu le contact avec la symbolisation. La philosophie cartésienne s’est inscrite dans le contexte de la controverse géo-centrisme/héliocentrsime que l’on nomme aussi la révolution copernicienne. Passer d’un monde clos à un univers sans limites connues fut très douloureux. Freud a décrit  ce passage comme une blessure narcissique de l’humanité. Dans ce contexte Descartes a développé les principes d’une philosophie rationaliste qui propose de chercher la vérité uniquement dans les sciences. L’homme s’appuie sur la raison seule et n’a pas besoin des lumières de la foi pour accéder à la connaissance. Le rationalisme ne croit qu’à la raison scientifique purement déductive et mécanique.

C.G. Jung dans son travail de recherche sur l’âme humaine, a mis en avant un concept qui est celui du Moi Archétypal et sa fonction de Spiritus Rector (terme qui désigne la force spirituelle intérieure qui dirige la psyché dans son ensemble dans sa quête de plénitude et de santé), comme étant le modèle le mieux à même d’attester la présence du sacré comme partie intégrante de la psyché.

L’inconscient ne fait pas la différence entre le symbole et la réalité. Le symbole est une perspective du langage qui ne se laisse pas emprisonné dans la logique ou la rationalisation.

Nos contradictions ne sont pas associées sous forme de mots sur le plan de la raison mais sous forme de symboles au niveau de l’inconscient. Puisque les rêves, les lapsus, les actes manqués sont des expressions de l’inconscient, les créations et les symboles peuvent être des outils pour s’acheminer à lui et lui envoyer des informations, dans le sens opposé. L’utilisation des symboles permet d’établir un pont, une passerelle entre un évènement passé et une situation présente et donner un sens nouveau à notre histoire

La création d’une poupée est un acte symbolique thérapeutique

Confectionner une poupée est un acte symbolique et thérapeutique   L’intention première étant de créer SA poupée, « un fac-similé en minuscule du Soi originel. La poupée représente une petite part d’âme qui porte toute la connaissance de la grande âme-Soi»  (C.P Estes).

On peut voir sur les poupées qui sont fabriquées lors de mes ateliers,  l’étape de vie traversée et à dépasser, des personnes qui les ont fabriquées. Le processus de confection est passionnant, transcendant l’idée même de contrôle. Il nous dépasse, et malgré toute notre bonne volonté d’y mettre ce que vous voudrions y voir, c’est toujours l’inconscient qui finit par s’exprimer.

Comme pour cette poupée barricadée derrière une panoplie de boutons et de coquillages qui ressemblait à s’y méprendre à un bouclier, avec un cadenas et une clef attachés au niveau du cœur. Je connaissais assez bien la personne qui l’avait confectionnée pour reconnaître la cuirasse qu’elle avait mise en place pour se protéger d’éventuelles blessures.

Une autre personne a laissé sa poupée entièrement vierge, sans la moindre décoration, n’ayant ni le temps ni l’inspiration. Elle a réalisé plus tard qu’elle pouvait ainsi la donner à sa petite fille pour qu’elle puisse jouer avec et la mettre en bouche sans danger. A cette étape de sa vie, la mère et l’enfant ne faisaient qu’un, il était temps qu’elles se dissocient.

Une femme réalisa une poupée imposante et majestueuse, la confectionnant avec des plumes et des tissus soyeux et éclatants, une poupée dans un genre qui ne passait pas inaperçue. Au moment de monter dans l’avion qui la ramenait chez elle, elle réalisa à quel point c’était une femme discrète, elle observa comment elle avait préféré se faire petite dans sa vie et chercha à quoi correspondait ce qu’elle ressentait comme une programmation inconsciente qu’elle n’avait plus envie de subir.

Il y aussi cette participante qui a choisi de coudre sa poupée avec  une tête sur un corps rond, sans jambes ni bras. Elle m’expliqua plus tard qu’elle avait pris cette décision de la confectionner ainsi car « elle s’embêtait assez comme ça dans la vie pour faire cet effort supplémentaire de coudre bras et jambes ». Son inconscient lui a rapidement fait savoir, par une douleur persistante au bras gauche, qu’il était temps qu’elle entame un sérieux travail pour transformer son sentiment d’impuissance, afin qu’elle puisse enfin agir (avec ses bras) et avancer (avec ses jambes). Ce qu’elle fit.

Il arrive aussi parfois que la poupée surgisse dans les rêves et nous envoie des messages. Une femme a vu dans un de ses rêves une personne habillée exactement comme sa poupée, et lui révéla grâce à un contexte précis des aspects d’elle qu’elle avait besoin de connaître pour avancer.

Avec  la fabrication de sa poupée thérapeutique émergent des prises de conscience qui permettent de dépasser nos barrières pour être encore au plus près de qui nous sommes vraiment. C’est un processus de transformation qui ne s’arrête pas une fois la poupée terminée, mais nous accompagne un temps, plus ou moins long, selon le cheminement de chacun.

La pratique des actes symboliques permet à chacun d’être un agent de sa transformation. C’est une démarche thérapeutique qui permet d’amorcer des ouvertures, des prises de conscience et des changements.

Agnès Perelmuter

Art-thérapeute

Références :

* Françoise Dolto, psychanalyste, invente la « poupée-fleur ». «  Jeu de poupées », Ed. Mercure de France.

« L’homme et ses symboles », C.G.Jung, Robert Laffont, 1964 p 55.

« Essais sur la symbolique de l’esprit », C.G Jung, Ed. Albin Michel.

« La poupée sublimée », Thierry Dufresne, Ed.Skyra.

« La symbolisation, un acte pour se réconcilier avec soi-même » par Jacques Salomé.

« Femmes qui courent avec les loups », Clarissa Pinkola Estes, Ed. Grasset

« Poupées » sous la direction d’Allen Weiss, Ed. Gallimard/ Halle Saint Pierre